1.4. L’ÎLE DE PRINCIPE
L’île de Principe (136 km2, presque sept fois plus petite que l’île de Sao Tomé, 4% de la population totale du pays) se situe à environ 150 km au nord-est de l’île principale. Elle possède un statut de région autonome au sein de la République Démocratique de Sao Tomé et Principe, avec un gouvernement régional élu.
Tout comme Sao Tomé, l’île est très montagneuse, surtout dans sa partie sud ; mais les points culminants n’atteignent que 900 à 1000 mètres (contre plus de 2000 mètres à Sao Tomé). Même type de végétation d’un vert luxuriant. Plages encore plus belles (la célèbre Praia Banana paraît l’archétype de la plage des îles tropicales telles que rêvées par les agences de voyage). Et population tout aussi avenante que celle de l’île sœur, Moncos (habitants de Principe) et Santomenses (Santoméens) participant d’une forte unité culturelle. Mais les Principiens sont fiers de leurs particularités, notamment dans le domaine culinaire (plat régional : le molho de fogo, littéralement la sauce de feu, effectivement beaucoup plus pimentée que la plupart des plats santoméens) et dans celui des spectacles de rue : l’Auto de Floripes, spectacle qui mobilise le 15 août toute la petite capitale régionale de Santo Antonio, toute la ville retentissant des sons de trompe et des coups d’épée contre les boucliers en bois de dizaines de figurants représentant, pendant une journée entière, la lutte entre les Chrétiens de Charlemagne et les Musulmans du Sultan ; guerre sainte d’autant plus âpre que la belle Floripes, la fille du sultan, s’est enfuie à la cour de Charlemagne avec le chevalier Guy de Bourgogne qui l’a séduite alors qu’il était retenu prisonnier chez les Infidèles.
Le tourisme s’est fortement développé ces dernières années dans l’île de Principe.
En 2010, l’île de Principe dans son entier a été classée par les Nations Unies « réserve mondiale de la biosphère ».
Ce classement prestigieux doit beaucoup à l’intense activité d’un riche homme d’affaires sud-africain, Mark Shuttleworth, déjà connu pour avoir été un des premiers passagers touristiques d’une navette spatiale (en 2001). Monsieur Shuttleworth est littéralement tombé amoureux de Principe (il n’est pas le seul, le charme de l’île opère sur la plupart de ses visiteurs) et a décidé de consacrer une partie de sa fortune à mettre en valeur ce joyau de la nature, à y protéger l’environnement, et à améliorer le sort de ses habitants, dont tous n’avaient pas conscience qu’ils habitaient au Paradis Terrestre, étant données leurs conditions d’existence. Il a créé à cette fin une fondation à objectifs sociaux, Principe Trust ; et, souhaitant attirer dans l’île des visiteurs du monde entier, il a créé également une entreprise à vocation touristique, HBD, qui y implante et gère des hôtels et appuie financièrement les projets de conservation et valorisation de l’environnement lancés par Principe Trust en collaboration avec les autorités locales.
Le gouvernement de la région autonome a accepté évidemment avec enthousiasme les aides matérielles importantes que lui offre la Fondation Principe Trust. Mais il est conscient du risque que l’île et ses habitants se transforment en « réserve indigène » pour visiteurs étrangers, avec développement d’une mentalité d’assistés, dépendance économique exclusive du tourisme aux dépens d’autres activités productives, coexistence purement marchande entre population locale et touristes, et folklorisation de la culture autochtone. Avec l’appui du gouvernement central de la République siégeant à Sao Tomé, le gouvernement régional tente parfois d’infléchir les projets de Principe Trust et d’HBD.
L’appui de ces institutions s’est traduit ces dernières années par des améliorations considérables de certaines infrastructures, et cela a bénéficié à la population : le petit aéroport, les routes et pistes, les rues de la ville de Santo Antonio, le tout à l’égout, le réseau électrique… Mais le type de tourisme développé par HBD et d’autres investisseurs étrangers repose sur le fonctionnement d’hôtels de grand luxe, d’où les clients, tout amateurs d’environnement « bio » qu’ils soient, ont, pour diverses raisons, du mal à sortir – si ce n’est dans des minibus climatisés d’où ils vont jeter un coup d’œil sur de merveilleux paysages et de gentils indigènes. Une partie de la clientèle vient en jet privé. Certains demandent à des guides locaux de leur préparer « une nuit sous la tente dans la jungle » pour plusieurs centaines d’Euros par participant ; nuit et petite expédition dont ils ressortent trempés par la pluie, suants, boueux et ravis, distribuant des pourboires égaux au salaire mensuel local d’un ouvrier en bâtiment. Au point qu’on a pu dire méchamment que, plus qu’une réserve mondiale de la biosphère, Principe était en passe de devenir une réserve bio de la jet-sphère.
Dans les années 2010-2016, ce type de tourisme a failli suffoquer tous les autres. Les prix des produits et services locaux, dopés non pas tant par les achats de la clientèle des grands hôtels (cette dernière n’achète presque rien sur le marché local), mais par la venue dans l’île de travailleurs extérieurs (employés dans l’hôtellerie, dans la construction et les travaux publics, formateurs, chercheurs scientifiques analysant les ressources de la « réserve »…), ont rendus extrêmement coûteux les séjours dans l’île pour des visiteurs aux moyens plus modestes.
Depuis très peu de temps, il semble que la situation soit en train de changer. De nouveaux petits établissements hôteliers et de restauration ont ouvert leurs portes, qui ont apaisé la tension entre l’offre et la demande. Il devient possible de promouvoir à Principe un tourisme qui ne soit pas un tourisme de grands hôtels ghettos, voir même peut-être un tourisme de rencontre avec la population (qui est encore loin d’avoir été gangrenée par le parachutage de la jet-society sur son territoire). Et ceci, tout en bénéficiant des améliorations notables des infrastructures qu’a engendré l’appui au tourisme de luxe.
C’est à la promotion de ce tourisme « dans les interstices laissés par les palaces à piscines » que répond la publication du présent guide.
On notera toutefois que les problèmes de transport ne facilitent pas l’accès et le séjour de visiteurs à revenu modeste. Depuis 2019, plus de bateau pour assurer la liaison avec l’île de Sao Tomé. Le prix du billet d’avion depuis la capitale est passablement élevé : aux alentours de 250 € l’aller et retour. Sur place, pas de taxi, pas d’agence de location de véhicule : les grands hôtels ont leurs navettes et leurs bus, réservés à leur clientèle ; des privés offrent leurs services – transfert depuis l’aéroport local, location à la journée de voiture avec chauffeur – mais la tension entre l’offre et la demande tire les prix à la hausse. Et attention aux problèmes d’assurance !
Il existe toutefois des motos-taxis – sans casque pour le passager.